NOTAIRE – Fonction et responsabilité - Généralités

 

Introduction

1. – Inflation du droit de la responsabilité civile - Toutes les responsabilités professionnelles se sont profondément modifiées. De nos jours, en effet, les individus semblent hantés par l'idée de protéger leurs biens et les droits qu'ils ont pu acquérir. Les victimes ne sont plus résignées. Elles ne s'inclinent plus devant la fatalité : elles exigent réparation. Aussi vivons-nous dans un monde où la responsabilité personnelle mais aussi et surtout professionnelle se révèlent omniprésentes et... fort pesantes.

Cependant, parmi les professions libérales, la profession notariale semble plus touchée que les autres par cette inflation certaine et continue de la responsabilité. Il suffit de feuilleter les recueils de jurisprudence pour s'en rendre compte. Le notariat est, parmi toutes les professions celle qui paie l'un des tributs les plus lourds à l'extension contemporaine de la responsabilité civile. La responsabilité encourue par les notaires ne peut en effet se comparer à la responsabilité qui pèse sur un avocat ou tout autre juriste professionnel : elle est plus fréquemment recherchée et plus lourdement sanctionnée.

2. – Inflation de la responsabilité notariale - L'on ne peut cependant se contenter d'établir ce constat en expliquant cet état de fait par les raisons classiques du développement de la responsabilité civile. Certes, le changement de moeurs, l'absence de résignation chez les victimes, l'accessibilité plus grande à la justice, la réaction en chaîne qu'exercent l'un sur l'autre le progrès de la responsabilité et le progrès des assurances, ont été des facteurs déterminants mais ils ne constituent pas les seules raisons du développement de la responsabilité notariale. L'inflation de cette responsabilité professionnelle provient également de facteurs qui lui sont propres et notamment du caractère original de la fonction assumée par les notaires.

La profession notariale est en effet une profession complexe et étendue, d'une haute technicité, dotée d'un statut particulier qui la différencie des autres professions juridiques. La responsabilité qui en découle a donc suivi le développement de cette fonction : elle s'est affinée et alourdie au fur et à mesure que la profession s'organisait et se particularisait.

I. –  Historique

3. – Un simple scribe - De tous temps, les notaires ont eu pour fonction essentielle la rédaction des conventions. Ils ont été tout d'abord que de simples scribes. Les tabellions du Bas-Empire rédigeaient déjà les actes constatant les conventions des parties mais leurs contrats ne jouissaient d'aucune authenticité. Ils ne faisaient pleine foi que du jour de leur insinuation, c'est-à-dire, de leur lecture devant un tribunal et de leur copie intégrale sur un registre spécial.

4. – Une profession qui s'organise - Après la chute de l'Empire d'Occident, la fonction de tabellion survécut et la pratique de l'insinuation se perpétua dans les pays de droit écrit jusqu'au 7e siècle. Elle disparut ensuite, puis réapparut au 12e siècle avec la renaissance du Droit romain. C'est à ce moment-là que les notaires commencèrent à être les délégués des pouvoirs publics. Certes, leur investiture émanait alors de sources très diverses en raison du morcellement de l'autorité : il y avait des notaires seigneuriaux, des notaires apostoliques et des notaires impériaux mais tous assuraient, par l'apposition de leur sceau, la force probante de leurs actes qui possédaient également force exécutoire.

Les pays de coutume connurent une évolution parallèle. Il fallut attendre un Edit de Charlemagne pour que la profession fut organisée. Là encore, cependant, il existait une grande diversité parmi les notaires. Au surplus, leur autorité variait avec celle du Seigneur ou du Conseil des notables qui les rétribuait.

À Paris, dès le 13e siècle, la situation fut quelque peu différente car Saint-Louis y avait créé un corps de soixante notaires, chargés de recevoir tous les actes de juridiction volontaire et de leur donner la force et le caractère de l'autorité publique.

Un siècle plus tard, Philippe Le Bel décida de placer l'ensemble des notaires sous son autorité directe et se réserva le droit exclusif de les nommer. En 1300, une décision importante fit de chacun d'entre eux un représentant de la présence juridique royale. Ainsi, peu à peu, le notariat était-il devenu une profession unifiée et officiellement reconnue. Il continua d'accroître son importance jusqu'au 16e siècle.

5. – À partir de ce moment-là, une période de déclin commença au cours de laquelle le rôle assumé par les notaires s'amoindrit peu à peu. Ce déclin, aux causes multiples, parmi lesquelles il faut citer les édits créant l'hérédité et la vénalité des offices continua jusqu'à la Révolution. L'Assemblée constituante mit fin à cette régression en réorganisant la profession tout en accentuant le rôle des notaires. Il fallut cependant attendre la loi du 25 Ventôse, An XI, pour que les notaires se voient reconnaître le statut qui, dans ses grandes lignes, est désormais le leur.

II. –  Rôle actuel du notaire

6. – Définition - À un mot près, en effet, la définition de la fonction notariale est celle qui était contenue dans la loi du 25 Ventôse, An XI : les notaires sont des officiers publics dont la mission est de recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'actes authentiques (Cf.  Ord. n° 45-2590, 2 nov. 1945, art. 1er : D. et 1945, législ. p. 39 ).

Les notaires sont ainsi chargés de transcrire en langage juridique les conventions des parties, tout en leur donnant le caractère d'écrits authentiques possédant force probante et force exécutoire. Pour cela l'État leur délègue une parcelle de son authenticité.

7. – Privilèges de l'acte authentique - L'acte authentique possède en effet trois vertus particulières : une force probatoire exceptionnelle, une force exécutoire et une conservation assurée.

8. – Force probante. – Les notaires sont des témoins privilégiés dont l'attestation a, aux yeux de la loi, une valeur exceptionnelle. L'acte authentique, aux termes de l'article 1319 du Code civil, "fait pleine foi de la convention qu'il renferme" et la force probante de cet acte vaut jusqu'à inscription de faux, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il soit démontré, par une procédure complexe et hérissée de difficultés, que le notaire y a volontairement inséré une déclaration inexacte. Cette force probatoire renforcée ne concerne cependant que ce que le notaire a pu constater par lui-même ou ce pourquoi il a une compétence spécifique.

Ainsi, par exemple, feront foi jusqu'à inscription de faux, la date de l'acte, l'indication de la présence des parties ou la mention d'un paiement fait en sa comptabilité. En revanche, l'affirmation qu'un testateur est sain d'esprit ou que le montant du prix d'une vente a été payé avant la signature du contrat et hors sa vue peut être combattue par tous moyens de preuve car le notaire n'a ni l'obligation formelle ni la possibilité de vérifier l'exactitude de ces faits.

Il n'en demeure pas moins que l'acte authentique est un acte éminemment fiable mais ce n'est là que sa première vertu : il possède en lui-même la possibilité de son exécution forcée car il est doté de la force exécutoire.

9. – Force exécutoire. – Certains actes notariés peuvent être revêtus tels des jugements, de la formule exécutoire.

Cette formule, désormais apposée sur les copies exécutoires (Cf. infra   J.-Cl. Responsabilité civile et Assurances  Fasc. 420-20, ou J.-Cl. Civil Code 1382 à 1386,  Fasc. 420-20, ou J.-Cl. Notarial Formulaire  V° Responsabilité notariale,  Fasc. 2) donne ordre, au nom de la République française et du Peuple français "à tous huissiers de justice de mettre les présentes à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu'ils en seront légalement requis".

Elle permet par conséquent aux créanciers d'une obligation portant sur une somme d'argent certaine, liquide et exigible d'exercer directement leurs droits en recourant aux voies d'exécution, sans être obligés d'obtenir un jugement de condamnation de leur débiteur.

De ce fait, les obligations notariées représentent des titres de créance particulièrement efficaces, dotés d'une facilité et d'une rapidité d'exécution exceptionnelle. Ce sont en outre des titres dont la conservation est assurée sous la garantie de la responsabilité notariale.

10. – Conservation assurée. – L'article 13 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 dispose que : "Les notaires sont tenus de garder minute de tous les actes qu'ils reçoivent à l'exception de ceux qui, d'après la loi, peuvent être délivrés en brevet...".

Le principe est donc celui de la conservation par les notaires des originaux des actes qu'ils ont rédigés. Ce n'est que par exception si l'original d'un acte peut être parfois remis au client lui-même – l'on dit en ce cas que l'acte est rédigé en brevet – mais il faut alors que la loi le permette (ce qu'elle fait par exemple pour les certificats de vie, les procurations, les notoriétés, les quittances de fermages, de loyers, de salaires, les arrérages de pensions et de rentes, etc.) ou qu'un jugement l'autorise.

Tenus de veiller à la conservation de leurs actes, les notaires sont naturellement responsables, à moins cas de force majeure, de la disparition, de la détérioration ou de la perte des minutes. Ce rôle de "gardien", et la responsabilité qui le sanctionne, concourt à accroître la sécurité qui s'attache aux actes notariés. Ceci est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le législateur a conféré aux notaires une position de monopole pour les actes qu'il estimait être les plus importants ou les plus lourds de conséquences : les actes solennels doivent être reçus par eux à peine de nullité. L'intervention notariale rendue nécessaire protège ainsi les contractants.

Les notaires ont par conséquent des devoirs et des privilèges exorbitants du droit commun. En contrepartie de ces pouvoirs, ils sont placés sous l'autorité directe du pouvoir exécutif : ils sont nommés par le ministre de la justice et, après cette nomination, la chancellerie, par l'intermédiaire des procureurs généraux, des procureurs et des substituts, exerce sur eux un contrôle permanent – leur rémunération n'est pas libre mais prévue par la loi. Ils ne peuvent refuser d'instrumenter.

11. – Spécificité de la fonction notariale - La profession notariale fait ainsi l'objet d'une réglementation particulièrement stricte mais cette réglementation se justifie car le rôle du notariat, très différent de celui des autres professions libérales, est essentiel pour la sécurité de l'ordre juridique et social : le magistrat et l'avocat s'occupent en effet principalement des "accidents" de la vie juridique. Le notaire, lui, doit traduire en textes valables et efficaces les drames et les joies, les espoirs et les déceptions de la vie de chaque jour. Il est "un magistrat de juridiction volontaire" (Delanney, Le notaire, magistrat de juridiction volontaire, rapport présenté au 3e Congrès de l'Union internationale du notariat latin, Paris 1954, p. 99). Son rôle est préventif : il est d'empêcher les différends de naître. Sa mission officielle est de conférer une sécurité juridique complète aux actes qu'il reçoit. On a dit très justement de lui qu'il était "le censeur du contrôle a priori des affaires" (A. Lapeyre, L'authenticité :  JCP G 1970, I, 2365).

La fonction d'authentificateur du notaire l'oblige par conséquent à être non seulement un technicien du droit mais aussi un généraliste. Ne doit-il pas, quel que soit l'acte qui lui est demandé, transposer en termes juridiques inattaquables la volonté de ses clients ! Le notaire ne peut en effet se contenter d'exécuter un travail de pure transcription littérale des déclarations et des volontés des personnes qui s'adressent à lui. Il lui faut compléter la sécurité juridique qu'il confère aux actes qu'il reçoit en conseillant ses clients, c'est-à-dire en les informant sur la portée et les conséquences des engagements souscrits.

Le rôle assumé par le notaire à l'occasion de la rédaction d'un acte n'est donc pas uniquement celui d'un juriste spécialisé. Il a également un devoir d'appréciation, de prévision et d'information. La mission d'authentificateur du notaire, dans l'esprit des textes régissant le notariat et en vertu des solutions jurisprudentielles se double nécessairement d'une obligation de conseil mais ce conseil doit être fourni de façon objective et impartiale car le notaire agit en qualité de "médiateur" et d'arbitre impartial.

C'est dire que la fonction du notaire qui est d'être un dispensateur de sécurité juridique est, selon la formule célèbre employée par Ferrière "d'une étendue immense puisqu'à proprement parler il n'y a point d'affaires qui ne puissent être de son ressort, ni de personnes qui n'en éprouvent tous les jours la nécessité. Mais, si sa vaste étendue fait son éloge, on ne saurait disconvenir qu'elle n'en fasse aussi la difficulté" (Ferrière, Le parfait notaire, éd. 1752, Livre I, chef 17, p. 78).

Un tel jugement est, plus que jamais, d'une très grande actualité.

III. –  Aperçu général de la responsabilité notariale

12. – Responsabilité étendue - De nos jours, en effet, le rôle du notaire s'est trouvé étendu non seulement en raison de la difficulté accrue des affaires mais aussi et surtout par la multiplication et la complexité des règles juridiques. La responsabilité qui découle de la fonction notariale s'est donc alourdie.

Les temps sont loin où, par interprétation de l'article 68 de la loi du 25 Ventôse, An XI, la jurisprudence reconnaissait à la responsabilité notariale un caractère exceptionnel et en limitait la portée.

L'article 68 de la loi du 25 Ventôse, An XI dispose en effet :

Tout acte fait en contravention aux dispositions contenues dans les articles 6, 8, 9, 10, 14, 20, 52, 64, 65, 66 et 67 est nul s'il n'est pas revêtu de la signature de toutes les parties contractantes, et, lorsque l'acte sera revêtu de la signature de toutes les parties contractantes, il ne vaudra que comme écrit sous signature privée sauf, dans ces deux cas, s'il y a lieu, les dommages-intérêts contre le notaire contrevenant.

 

Les tribunaux déduisaient de cette rédaction restrictive :
- qu'en raison de la non-abrogation de la loi du 25 Ventôse, An XI, la responsabilité des notaires constituait un droit spécial auquel ne pouvait s'appliquer les règles du droit commun;
- que cette responsabilité se limitait aux cas prévus par le texte spécial, c'est-à-dire à certaines nullités d'actes pour vice de forme;
- que l'expression "s'il y a lieu" exigeait une faute lourde et n'obligeait pas à la réparation intégrale du dommage (Cf. notamment avec la jurisprudence citée, Mazeaud et Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile : 6e éd., n° 514, note 1. – Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VI : par Esmein, 2e éd., n° 53. – Espagno, La responsabilité civile des notaires : Thèse Toulouse 1953, n° 55. – Saint-Geniest, Le notaire, conseil des parties, son rôle de conciliateur, rapport présenté au 3e Congrès de l'Union Internationale du notariat latin, Paris 1954, p. 351 ).

Ces solutions sont bien évidemment abandonnées. Les règles générales de la responsabilité civile s'appliquent à la responsabilité notariale : toute faute, fût-elle très légère, quel que soit son domaine (forme des actes, ou fond du droit) peut être source de responsabilité. La réparation des dommages provoqués est intégrale.

13. – Responsabilité au particularisme professionnel accentué - La responsabilité des notaires n'a pas cependant perdu tout particularisme car la fonction notariale a, de nos jours, joué le rôle d'un accélérateur de responsabilité. La tâche diversifiée assumée par les notaires a démultiplié leurs obligations professionnelles et donc accru les occasions de responsabilité. En outre, l'importance juridique et économique de leur fonction a rendu les magistrats plus sévères à leur égard. La responsabilité individuelle des notaires est donc différente des autres responsabilités professionnelles car elle est plus facilement admise et plus étendue.

Dès lors, par un choc en retour inévitable, cette responsabilité individuelle alourdie a suscité l'apparition d'une responsabilité collective. Les notaires possèdent en effet une organisation corporative très forte qui leur a permis de mettre en place une garantie collective, susceptible de prendre le relais en cas de défaillance du notaire personnellement condamné. Or, s'il n'existe aucun texte particulier régissant la responsabilité individuelle, ce qui a permis à la jurisprudence de faire oeuvre originale en précisant notamment l'étendue des deux devoirs professionnels principaux imposés aux notaires – devoir d'authenticité et devoir de conseil –, le législateur en revanche a minutieusement réglementé la responsabilité collective, d'abord par une loi du 25 janvier 1934 (DP 1934, 4, p. 361), puis par les décrets du 20 mai 1955 (JO 22 mai 1955), et du 30 décembre 1971 (Journ. not. 1972,  art. 50401, p. 110), pour ne citer ici que les principaux.

La responsabilité des notaires se présente donc comme une responsabilité double, à la fois individuelle et collective, située certes dans le droit commun de la responsabilité mais possédant néanmoins une originalité qui provient de la spécificité des devoirs professionnels impliqués par leur fonction.

 

 

 

 

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